Gunther Krichbaum : "Est-il nécessaire de continuer à dépenser autant pour la PAC ?"
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Alors que le Moyen-Orient s’embrase, les Européens semblent faire figure de spectateurs et ne réussissent pas à faire entendre leur voix en faveur d’une résolution diplomatique du conflit. Gunther Krichbaum, ministre allemand délégué aux Affaires européennes, rappelle cependant les efforts de l’Europe pour "créer plus de stabilité" car "c'est toute la région où nous avons, comme Européens, une responsabilité".
Gunther Krichbaum "pense que personne ne peut vivre en paix" si le régime iranien se dote de l’arme nucléaire. Il rappelle les liens historiques d’amitié entre Allemagne et Israël. Le ministre d'État pour l'Europe allemand fait part de son "empathie" envers la population de Gaza, mais "peut comprendre la position d’Israël", un pays entouré de voisins qui lui sont hostiles et qui veulent le voir "disparaître de la carte".
Après les frappes israéliennes et américaines sur l’Iran, les dirigeants européens ont affiché leurs divergences. Alors que le chancelier allemand Friedrich Merz a salué ces bombardements, Emmanuel Macron a déclaré que Washington avait agi hors du cadre de la légalité.
Gunther Krichbaum estime cependant que l’objectif de la France et l’Allemagne reste le même. "Nous avons une volonté ensemble, la France et l'Allemagne, de créer la paix maintenant", par la voie de la diplomatie. "C'est indispensable de commencer maintenant avec des négociations, parce que la guerre, ce n'est pas le futur" affirme-t-il.
"Sans sécurité, je ne peux rien réaliser en Europe"
Les alliés de l’Otan viennent de s’engager à investir 5 % de leur PIB dans leur défense. "Il est nécessaire d'investir plus dans notre propre sécurité, parce que cette sécurité est menacée par la Russie", réagit Gunther Krichbaum, et "il est nécessaire de soutenir l’Ukraine".
Or, il considère que les investissements actuels ne permettent pas d’assurer ce soutien. Cette augmentation des dépenses de défense arrive dans un contexte économique difficile pour de nombreux pays européens, dont la France et l’Allemagne. Le ministre insiste cependant sur leur importance "parce que sans sécurité, je ne peux rien réaliser en Europe", ni croissance économique, ni "garantir la liberté des gens".
Les Européens sont également obligés de pallier le désengagement américain en Ukraine. "Nous voulons que les États-Unis restent dans le bateau" mais "c'est aussi la vérité qu'ils veulent se concentrer plus sur la région de la Chine", constate-t-il.
Alors que la Commission européenne a commencé à introduire une ébauche de préférence européenne pour les dépenses de défense, Berlin reste très dépendante des achats d’armements américains. Gunther Krichbaum aimerait que son pays puisse à terme acheter plus d’armes européennes mais, actuellement, "ce n’est pas possible et c’est la réalité". Il rappelle qu’Emmanuel Macron est un partisan de longue date d’une "autonomie stratégique" européenne et partage d'ailleurs cette vision. "Il est nécessaire d'augmenter l'indépendance de l'Europe concernant l'armement, concernant aussi l'infrastructure", insiste-t-il. Il faut s’attacher à "devenir plus efficace en Europe".
Division autour du Mercosur
En effet, les Européens ne peuvent plus compter sur le soutien américain car Donald Trump "change très vite d’opinion" et "c'est quelquefois difficile de créer une politique où on peut vraiment calculer ce qu'il veut faire" d’un jour à l’autre. L’UE ainsi que l’Angleterre, qui doit être étroitement associée aux discussions sur la sécurité du continent, doivent assumer le soutien à l’Ukraine. Gunther Krichbaum appelle à apporter à Kiev toute l’aide nécessaire afin que l’Ukraine puisse arriver en position de force lors des négociations de paix. "Autrement, la Russie va dicter les conditions et il est nécessaire d'éviter ça", met-il en garde.
Le gouvernement de Friedrich Merz refuse toute augmentation du budget européen pour la période 2028-2034, tandis que la France, l'Espagne, le Portugal et le Parlement européen plaident pour un budget plus ambitieux. Pour Gunther Krichbaum, la question des priorités se pose. "Est ce que c'est nécessaire de dépenser à l'avenir la même somme pour l'agriculture ?", s’interroge-t-il. La part de la PAC dans le budget européen a considérablement baissé au cours des dernières décennies mais s’établissait encore à près d’un quart du budget de l’UE en 2023. Selon le ministre allemand, il faudrait revoir les postes de dépense car "il est nécessaire d'investir plus dans la jeune génération parce que c'est leur avenir". "Autrement, l'Europe va perdre la crédibilité", alerte-t-il.
Le Mercosur est un autre dossier qui divise le couple franco-allemand. Berlin y est très favorable, tandis que Paris cherche à bloquer en l’état l’accord de libre-échange qui mettrait en danger l’agriculture européenne. Pour le ministre, cet accord, qui a été négocié pendant 25 ans, est "nécessaire" car l’Europe est contrainte de diversifier ses relations commerciales, dans un contexte de guerre commerciale avec les États-Unis.
Gunther Krichbaum revient également sur la politique intérieure de l’Allemagne où l'Office de protection de la Constitution a classé la deuxième force politique du pays, l’AfD, comme mouvement "extrémiste de droite confirmé", déclenchant un débat sur une possible interdiction de ce parti. Le ministre déclare son opposition à cette idée. "Jeter l'AFD hors du Parlement avec les moyens de notre Cour constitutionnelle, ce n'est pas la solution", affirme-t-il. Selon lui, "il faut lutter avec des moyens politiques" contre l’extrême-droite et non juridiques "et prendre au sérieux les problèmes des gens".
Emission préparée par Isabelle Romero, Perrine Desplats, Agnès Le Cossec et Luke Brown